Humour et gesticulations

Humour et gesticulations

par Franck Lepage

Les conférences gesticulées doivent-elles être drôles ? La question, récurrente, se pose à chaque stage de réalisation de conférences. Non : il n’est écrit nulle part qu’elles doivent l’être et pourtant toutes le sont… toutes font un usage de l’humour sans que cette question ne soit ni imposée, ni abordée ni travaillée en stage, ni même suggérée… l’humour y advient tout seul… alors ? Une partie de la réponse est à chercher du côté de l’autodérision comme mise à bas de la figure honnie de l’expert. S’il n’est pas inutile de rappeler ici que le savoir est d’abord un rapport social – rapport social de domination – comme le sont le sexisme, le racisme ou les hiérarchies de classe sociale, la conférence gesticulée, de par l’insolence et le pied de nez de son intitulé oxymorique (conférence c’est sérieux, gesticulé c’est dépréciatif), s’en prend à la figure de l’expert, du savant, du « sachant », de celui qui est seul légitime (c’est-à-dire légitimé) à émettre un avis, une analyse sur un problème dont il est devenu le spécialiste. Si humour il y ,a ce doit être celui de Charlot : looser insolent, jamais du côté du pouvoir, qui sème le désordre sans avoir l’air d’y toucher…

Les conférences gesticulées sont drôles parce que sincères, elles sont drôles en ce qu’elles créent un espace pour le spectateur, contrairement à l’imposition du discours d’expert, elles sont drôles pour ne pas être intimidantes… rappelons-nous le seul bon prof que nous avons eu dans toute notre scolarité… celui qui ne cherchait pas à user de son pouvoir et se sentait assez à l’aise pour introduire de l’humour dans la transmission de son savoir, dans le seul lieu qui interdit la blague en France : l’école !

Les conférences gesticulées sont drôles parce qu’elles sont généreuses, elles sont drôles parce qu’elles demandent de l’aide et qu’elles sont un acte d’amitié, ou d’amour

Elles sont drôles parce que follement humbles et follement orgueilleuses à la fois.

Elles sont drôles parce qu’elles sont une jubilation… la jubilation de prendre la parole et de prendre le savoir… la jouissance de se déclarer légitime sans demander la permission à quiconque. Jouissance de se déclarer intellectuel au sens que donne Noam Chomsky à ce terme : quelqu’un qui s’efforce de dire de la façon la plus juste possible des choses importantes à des gens concernés par ces choses. Moment d’éducation populaire, le peuple s’échange des savoirs stratégiques sans demander la permission à personne.

Paradoxalement, elles n’ont rien à voir avec le travail des humoristes – fussent-ils « humoristes politiques » et même « humoristes politiques de gauche »…car le souci et le métier de ces gens-là sont d’abord l’humour, peu importe le sujet. D’abord faire rire et toujours en se moquant. Guillaume Meurice, humoriste politique de gauche, me fait rire chaque jour sur France inter, mais il ne me mobilise pas. Sa vision moqueuse d’un peuple essentiellement composé d’imbéciles, humour qui n’est pas sans un certain mépris de classe, ne remplace pas pour le meilleur, mais plutôt pour le pire, l’émission de Daniel Mermet qui donnait la parole à des gens du peuple qui se battent, des grévistes, des travailleurs qui donnaient envie de les rejoindre… l’émission de Mermet était politique, l’émission, qui l’a remplacée n’est plus que « culturelle »…c’est-à-dire sans danger. Insignifiante, on y rigole. Il y a bien humour et humour. L’un de ces humours est là pour empêcher le politique. L’autre pour le faire advenir.

texta paru dans la revue « pratiques », revue de  la médecine utopique. N° 82 dossier Humour, rire et santé

 

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