Etre contre l’éducation à la sexualité ? C’est jouer le jeu du patriarcat et de la pédo-criminalité.
Par KATIA BACLET (l’ardeur)
Je suis conférencière gesticulante. J’aborde les différentes pédagogies pratiquées dans le cadre scolaire et notamment la façon dont la pédagogie dite « traditionnelle » reproduit une domination via des savoirs légitimés par les dominants. A l’inverse, pratiquant des méthodes d’éducation nouvelle qui prennent mieux en compte la personne de l’enfant et qui encouragent son expression, c’est tout naturellement que j’ai rencontré la question de l’éducation à la sexualité des adolescents. Cette conférence, qui est accessible sur Youtube depuis plus d’un an, n’a suscité aucun commentaire remettant en cause l’éducation à la sexualité à l’école.
Depuis quelques jours, la partie de la conférence sur cette thématique (sexualité), mise en ligne, et qui veut outiller les enseignants qui souhaitent appliquer au mieux la contrainte de programmes de l’éducation à la sexualité, a fait l’objet de nombreux commentaires assez nauséabonds de la part de lobbys réactionnaires aisément identifiables et qui patrouillent sur le Web pour intimider toute démarche émancipatrice dans le domaine de la sexualité. . Commentaires tellement inacceptables que nous avons décidé de les supprimer.
Et la désinformation est allée bon train.
Mon expérience d’enseignante auprès de jeunes entre 14 et 18 ans est celle-ci :
Il y a 10 ans, j’ai pris de plein de fouet une réalité qui n’était pas la mienne (ca va vite, j’ai 40 ans), à savoir leur accès à la pornographie dès qu’ils ont un téléphone, soit 12 ans en moyenne. Celles et ceux qui n’en ont pas : il y a ceux des copain•es ! En 10 secondes ils peuvent voir des vidéos dans des catégories hallucinantes : inceste, femmes enceintes, urine et j’en passe. Peu m’importe ce que chacun•e fait dans son lit, mais laisser nos enfants voir cela sans aucun accompagnement comme le suggèrent certain•es, c’est de la violence psychologique qui se transforme en mal être et en violence physique. C’est ce à quoi j’ai été confrontée, c’est pour cela que je me suis retrouvée, de fait, sans l’avoir choisi, à devoir accompagner la déconstruction de toutes ces violences qui les paralysent, les angoissent, leur imposent un rôle genré. Tu es un garçon : tu es puissant et violent, ton sexe est au centre de tout. Tu es une fille : tu es un objet au service du plaisir masculin. Ce n’est pas moi qui le dit : ce sont les jeunes que j’ai accompagné•es. Leur désarroi se résume très bien dans cette phrase entendue : « En fait on sait que c’est pas ça la vie, mais du coup on n’arrive pas à imaginer autre chose ». La pornographie colonise les pensées de nos enfants, leur imagination, leur capacité à se construire leur propre sexualité, la possibilité de s’émanciper des injonctions de genre.
Face à ce déferlement de violences que les jeunes subissent, j’ai fait mon travail d’enseignante :
Depuis 2001, une loi préconise trois heures par an d’information à la vie affective et sexuelle. Et pourtant, au moins 25 % des écoles ne font rien en matière d’éducation à la sexualité.
La sexualité fait partie de la santé. L’éducation à la sexualité, c’est dans les programmes scolaires. Les programmes sont adaptés en fonction de l’âge. L’avortement est un droit. Non on n’apprend pas en France aux enfants à se masturber, à se toucher à l’école maternelle et l’OMS ne dit pas ça. Dire l’inverse c’est mentir ou ne pas savoir lire (Voir Rapport de l’OMS : Standards pour l’éducation sexuelle en Europe) On sexprime.fr est un site validé et recommandé par l’état.
Mais soyons honnêtes : l’enjeu va bien au-delà du fait de faire ou non son travail, et ne soyons pas dupes de ce que tout cela cache en réalité. Remettre en question l’éducation à la sexualité à l’école, désinformer comme le font la manif pour tous et associés depuis 2013, c’est nier l’existence systémique de la domination masculine, celle qui s’appuie notamment sur la pornographie pour favoriser les violences faites aux femmes et la pédophilie. (Article Libération : ici )
De nombreux travaux de sociologues ont largement démontré le lien intrinsèque qui existe entre pornographie et patriarcat. Les processus « d’érotisation » utilisés par l’industrie pornographique permettent de maintenir la femme dans un état d’objet du désir masculin, qui n’a pas la parole, qui est infantilisée. Ces processus enferment nos enfants dans des schémas patriarcaux. (Voir Richard Poulin, Une culture d’agression, M Éditeur, 2017)
Sachant que 58 % des garçons et 45 % des filles ont vu leurs premières images pornographiques entre 8 et 13 ans, il faut être dans le déni complet ou dans un mépris de classe inouï pour penser que TOUTES et TOUS ne sont pas concerné•es. Il ne s’agit pas là d’un positionnement moral, il s’agit de ne pas se leurrer pour prendre en compte réellement ce grave problème de santé publique aux implications politiques majeures, comme le rappelle Ovidi dans son livre A un clic du pire, Editions Anne Carrière, 2018.
Pour le Docteur Laurent Karila, psychologue et spécialiste de l’addiction sexuelle : «Visionner une scène pornographique à un âge très précoce, sept-huit ans, est psychiquement similaire à un abus sexuel, à cause de la violence des images. »
Alors dans l’intérêt de l’enfant, il faut poser les mots.
Se battre CONTRE l’éducation à la sexualité à l’école, c’est :
– Refuser à son enfant l’accès à une déconstruction de ces violences : c’est une violence parentale. La très grande majorité des adolescents ne veulent pas en parler avec leurs parents (étape de construction psychologique normale). Leur première source d’information est leurs pairs et internet. Ce n’est pas en priorité avec son parent que l’on va discuter de la dernière vidéo porno vue. Même si les parents ont leur place et leur responsabilité dans l’éducation à la sexualité, cela touche à un véritable problème de société.
– Empêcher son enfant d’avoir accès à l’éducation à l’image (et non, on ne leur montre pas des images pornographiques à l’école, il suffit de travailler sur la publicité !) et au décryptage de la société capitaliste. (35 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 pour M Dorcel, le roi du porno ! Et combien pour les femmes ?)
– Laisser place aux injonctions de genre qui favorisent les violences faites aux femmes.
– Contraindre son enfant victime de violences sexuelles familiales à n’avoir aucune personne extérieure pour en parler. C’est faire le jeu de l’inceste familial, qui touche 6% de la population Française. « Lavons notre linge sale en famille », Mais bien sûr ! Ça rappelle étrangement des positionnements au sein de groupes religieux, l’affaire Barbarin pour ne citer qu’elle et parce qu’elle a été récemment médiatisée.
Je pense à vous Sylvain*, Céline*, Cathy* et Cécile* (et à vos parents) qui m’avez confiée les violences subies, parce que j’avais ouvert la porte, que nous avons accompagnés à comprendre, à nommer, à se déculpabiliser et jusqu’au tribunal parfois pour faire appliquer les lois.
Je pense à vous Noémie* et Claire* (et à vos parents) que j’ai accompagnées à exercer votre droit à l’avortement.
Je pense à vous Virginie* et Lola* (et à vos parents) que j’ai accompagnée à exercer votre droit d’être de jeunes mamans.
Je le referais ? Assurément.
Combattons pour une véritable application des lois : en matière d’éducation à la sexualité, de pédo-criminalité et de protection des mineurs.
Combattons pour la formation de tous les professionnels de l’éducation.
Combattons la libéralisation sexuelle et l’exploitation du corps des femmes via la pornographie et la prostitution.
Combattons le patriarcat et sauvons les femmes et les enfants.
L’ennemi n’est pas la prof qui répond aux questions de ses élèves, un peu de sérieux !
Ne vous trompez pas de combat.
*Prénoms modifiés
NB : Le rapport 2016 sur la sexualité des jeunes, du Haut Conseil à l’Egalité Femme Homme, reprend, chiffre et source les éléments de cet article.