Qualiopi : la destruction des métiers en marche…

Nous avons reçu cette lettre d’une camarade qui nous partage son expérience de la démarche qualité. Elle y exprime son expérience de la certification imposée aux organismes de formation. Cette lettre vous permettra de mieux comprendre pourquoi nous avons refusé de nous y soumettre. Elle a accepté que nous la publiions. Nous l’en remercions.

Bonjour à toute l’équipe,

J’ai vu sur votre site que vous n’aviez pas la certification Qualiopi ??? Quelle déception, vous n’assurez pas la qualité de vos formations à vos stagiaires ??? Je plaisante bien sûr et je vous envie d’avoir les moyens de résister à cette procédure de folie normalisante.

J’avais envie de vous partager mon expérience dans la « mise en œuvre de la démarche qualité des organismes de formation dans le cadre de la « loi sur la LIBERTE de choisir son orientation professionnelle ». (SIC)

Ça sent la langue de bois évidemment, mais ça, on peut toujours en rire. Le pire est à venir…

Vous le savez, cette loi impose aux organismes de formation d’obtenir une certification, délivrée par un organisme certificateur privé (pour la modique somme de 2 000 € tous les 3 ans) pour obtenir le droit pour nos stagiaires d’utiliser leurs fonds de formation. En clair, c’est comme ce qui s’est passé pour les artisans avec la loi RGE (Reconnu Garant de l’Environnement, la blague !). Soit tu payes pour avoir une certification, soit on ne finance plus tes clients et donc tu fermes ton entreprise.

Quant à espérer que les stagiaires puissent utiliser leur CPF (Compte professionnel de Formation, anciennement Droit Individuel à la Formation), c’est encore une autre démarche à faire auprès de « France Compétences ». Pour le CPF, il faut que la formation soit « certifiante », en gros, il faut que celle-ci réponde à des critères bien précis et qu’elle soit portée par une branche professionnelle. Génial, les patrons choisissent eux-mêmes, les formations qu’un salarié pourra faire avec ses DROITS à la formation. Bien vu !

Mais c’est de la certification des organismes de formation dont je voulais vous parler. Cette certification au doux nom de « Qualiopi », je l’ai obtenu pour mon organisme de formation.

Ne m’applaudissez pas, j’ai honte. ! Attention âmes sensibles s’abstenir, ça va devenir vulgaire et violent.

Ca fait 30 ans, que mon organisme de formation existe. 30 ans que nos stagiaires sont là, 30 ans que ça tourne financièrement. Avec une équipe qui n’a cessé de s’agrandir (de 1 à 6 personnes) avec aucun départ. Une équipe stable donc, et une évolution régulière. Mais bien sûr cela ne dit rien de la QUALITE de notre travail. Nos stagiaires sont des idiots, ils ne savent pas reconnaître un contenu utile de formation, ils ne sont pas capables d’évaluer la qualité d’un formateur. Alors, l’Etat décide de nous obliger à payer un certificateur privé pour nous apprendre ce qu’est la qualité ! Nous les payons pour qu’ils viennent nous SOUMETTRE à une procédure, un process, une chaîne de production, des critères, des normes, des systèmes de pensées, du vocabulaire.

Nos stagiaires sont des « clients »

Nos clients sont les « entrées », nos formations sont les « sorties »

L’ingénierie de formation ( qu’on appelait «  création de contenu » jusque-là, mais ingénieur ça fait plus sérieux !) devient un « process de réalisation ».

Le secrétariat et le travail de ma collègue sont des « process support »

Chacun de nos métiers doit être procédurisé et pour chaque élément de notre travail nous devons former un collègue en cas d’absence . (C’est génial de donner aux patrons les moyens de justifier le non remplacement des salariés malades au passage. Allez les gars, c’est cadeau !)

Nous devons créer des supports informatiques, reprenant toutes nos procédures, revoir toute notre organisation d’archives.

Nous devons être capables de justifier ce que nous faisons, pourquoi, quand, combien de temps, avec qui ?

Nous devons enfin choisir des dizaines de critères d’évaluation de notre travail. Enfin choisir parmi une liste imposée…

Concrètement, ça donne quoi sur un être humain ?

J’ai dû rentrer dans une logique qui n’est pas la mienne, qui n’est celle de personne bien sûr, comprendre le vocabulaire, les attendus. Essayer de faire rentrer notre travail dans leurs cases. Puis communiquer tout ça avec l’équipe, accepter de voir mes collègues me regarder de travers en pensant : « Merde, on l’a perdue ». J’ai généré 8 gros classeurs avec des documents dont personne ne se sert. 6 mois de travail INUTILE. J’ai écrit des procédures dont on ne se sert pas. J’ai inventé des réunions qui n’ont pas eu lieu, avec des faux ordres du jour, des feuilles d’émargement complétées par des fausses signatures.

Répondre à leurs attendus qui sont en parfaite déconnection de la réalité de notre travail me donne le sentiment d’être une menteuse et heureusement j’ai menti ! Si on avait réellement mis en place tout ce merdier, nous serions tous en burn out. (Voir l’état des soignants par exemple, la démarche qualité à l’hôpital c’est une hausse de consommation de médocs… chez les soignants !)

Ils nous ont pris l’essence même de notre métier, notre capacité à penser, à créer, à travailler en équipe pour nous soumettre à un process industriel déshumanisant, inutile, onéreux, infantilisant, sans aucun sens. Ils ont décidé de nous dire comment travailler, sous entendant au passage, qu’avant on ne savait pas faire.

Et puis le jour de la certification est arrivé !

Une journée entière pour :

Voir ma directrice les larmes aux yeux fuir mon regard et celui de l’auditeur,

Entendre toute la journée «  vous avez des preuves » et répondre « oui, Monsieur »

Que l’auditeur m’annonce qu’il y a un « problème » avec l’un de nos formateurs. Il vient depuis 20 ans faire deux formations pour nous. Le problème est que sur son CV, (que j’ai bien archivé comme on m’a dit) il n’a pas de formation de formateur. Le gars à 58 ans, il est formateur depuis 30 ans, chez nous et à l’université. Il s’est formé sur le terrain, à une époque où la formation de formateur n’existait même pas. Mais ça ne suffit pas. Je vais inventer une fausse réunion pendant laquelle j’aurai dû lui expliquer comment faire un travail qu’il connait mieux que moi !

Je finirai cette journée avec les félicitations de mon auditeur qui me dira «  c’est quand même super d’être récompensée pour toute la qualité de votre travail »

Quoi ?? Mais vas-y de quoi tu me parles toi ? La qualité de quoi ? De tout ce merdier ? De mes collègues qui me regardent avec désespoir ? De toutes ces « preuves » que je viens de te servir, preuves qui ne prouvent que ma capacité à répondre à tes exigences de normes mais ne disent rien de la réalité de notre travail ? De ces 6 mois où je n’ai pas formé  mais où vous êtes venus me déformer ? De cette envie de vomir qui ne me quitte plus depuis que tu es rentré ici ? De l’absurdité de cette journée ? Des 20 000 euros que tout ça nous a coûtés ? De notre soumission à tes normes pour pouvoir sauver notre outil de travail ? Des 5 jours annuels que je passerai désormais à produire les preuves de ma soumission, les preuves qui ressemblent franchement à des faux documents pour le moment où tu reviendras me contrôler, m’évaluer, me pressuriser, me condamner à me sentir MENTEUSE, FALSIFICATRICE, DELINQUANTE administrative, gamine apeurée d’avoir une mauvaise note ?

Sans Qualiopi : nous pointions au chômage

En l’appliquant : nous devenions fous

En faisant semblant : nous avons cru nous révolter, mais nous avons seulement préservé la QUALITE de notre travail, tout en perdant notre dignité.

Merci de m’avoir lue, ça fait quand même un peu de bien.

Si vous souhaitez mieux comprendre les enjeux de la démarche qualité, vous trouverez des analyses intéressantes ici :

https://oedipe.org/actualites/lademarchequalite

http://psychasoc.com/Textes/La-demarche-qualite-cette-douce-tyrannie-de-la-transparence

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